Visite au Centre of minorities de Belgrade

 

               C’est derrière la porte d’un immeuble qui ne paye pas de mine, dans le centre-ville de Belgrade, que les employés du Centre of minorities de Belgrade nous ont donné rendez-vous.

On nous reçoit donc autour d’un café dans un salon tapissé d’affiches contre le racisme, l’homophobie et les discriminations de toutes sortes ; sur les étagères, des livres sur les maltraitances faites aux femmes, de rapports sur l’acceptation des homosexuels en Serbie et surtout, ce qui nous intéresse le plus, des récits sur les conditions de vie des Roms en Serbie et dans les Balkans en général. Ce centre, créé en 2006, est une organisation active dans tous les Balkans qui propose conseil et protection à toutes les minorités et qui lutte contre tous les types de discriminations et de marginalisations dont elles sont victimes. Le centre est  soutenu par le Helsinki Comitee, une organisation internationale qui rassemble les ONG luttant pour les droits humains.

C’est Jovanna, une des responsables du centre qui nous reçoit autour d’un café turc et qui commence à nous parler de la question pour laquelle on est venu la voir : comment les Roms qui ont été expulsés d’Allemagne vivent ou survivent ici, en Serbie. Finalement, on a un peu les mêmes informations qu’en Bosnie et les problèmes majeurs sont à peu près les mêmes.

 

Une communauté difficile à évaluer

 

La communauté Rom représente environ 500.000 personnes en Serbie mais l’Etat en reconnaît officiellement seulement 108.000, soit quatre fois moins. Cette différence de chiffres s’explique par plusieurs raisons : beaucoup de Roms ne veulent pas dire qu’ils sont Roms : « ils ne font pas confiance aux les autorités, parce qu’ils ont peur d’être discriminés à nouveau et ils le seront effectivement s’ils le disent ! » Et puis les gens qui font ce genre de rapports ne vont pas partout, beaucoup de camps ne sont pas enregistrés. Mais malheureusement, ce décalage n’est pas qu’une erreur et Jovanna insiste bien sur ce point : «  ça veut aussi dire que l’Etat devra dépenser quatre fois moins d’argent pour cette question… » Il y a encore plusieurs milliers de ‘legaly invisible people’, c’est-à-dire de gens sans existence légale parce que ne possédant aucun papiers et il n’y a pas encore de solution légale à ce problème. L’Etat fait des efforts mais leur nombre ne cesse de croître. Ce n’est pourtant que rarement le cas pour les « retournés. »

 

Les retournés. « j’ai été forcé au retour volontaire ».

 

Jovanna aborde ensuite le sujet central sur lequel nous travaillons : celui des Roms ayant émigré en Europe de l’Ouest (Allemagne, Suède, Suisse…) pour tenter de trouver là-bas une vie meilleure, du travail, des aides sociales et mais qui ont été purement et simplement expulsés. Ou, dans le vocabulaire officiel, qui ont signé un papier de « retour volontaire. » Jolie façon de dire qu’ils ont été gentiment poussés dehors en leur demandant expressément de ne pas revenir parce qu’on ne voulait pas d’eux ici.

Une fois expulsés, quand ils arrivent à l’aéroport de Belgrade, on les « reçoit » dans un bureau où on leur donne les instructions de base car, officiellement, le gouvernement serbe offre des perspectives alléchantes aux retournés : accueil, conseil, papiers,  travail, aides sociales…Autant de promesses non tenues bien sûr et la moue de notre interlocutrice en dit beaucoup plus que bien d’autres mots.

 

En tout cas, le problème majeur pour les Roms qui reviennent d’Europe de l’Ouest semble être le logement ou plutôt, le mal-logement. A leur retour, ils n’ont nulle part où vivre et même s’ils avaient une adresse quand ils sont partis, leur maison n’est souvent plus habitable, elle a soit été abandonnée, soit détruite ou les matériaux ont été récupérés par les voisins. La conséquence directe de cette problématique est que, dans les camps informels qui pullulent dans les environs de Belgrade, 30% des Roms qui y habitent sont ceux qui ont été déportés d’Europe, « ce qui représente une part énorme », selon Jovanna. Ils viennent donc à Belgrade « pour survivre » parce que, dans le sud de la Serbie, la situation économique est catastrophique, et pas seulement pour eux : il n’y a de travail pour personne, quelle que soit la nationalité, la religion ou l’appartenance ethnique.

 Le problème des évictions forcées se pose aussi très souvent : comme ils n’ont pas d’endroit où vivre, certains investissent des locaux ou des terrains qui ne leur appartiennent pas et ils prennent donc le risque de se faire expulser par la force. Et on sait très qu’ici, on ne fait pas dans la dentelle avec les Roms ; « Ils sont juste mis à la rue par la police, sans autre endroit où vivre et souvent pas de façon très douce… Il y en a eu beaucoup cette année, plus que les années précédentes. On essaie d’en faire un sujet majeur avec l’aide d’Amnesty international parce qu’eux, peuvent créer une véritable pression internationale là-dessus. Et c’est important parce qu’ici le maire est plutôt résistant à la pression sur ces questions… »

Les Roms retournés rencontrent un autre problème de taille : celui des papiers. « Quand ils viennent ici, ils ont les documents de base mais quand ils vont habiter dans les camps, ils n’ont pas de véritable résidence et sans résidence officielle, ils ne peuvent pas bénéficier d’assurance maladie.  Mais depuis juillet 2010, il y a eu un décret qui leur donnait le droit à en souscrire une, seulement en déclarant qu’ils sont Roms. Les retournés voyagent avec leur extrait de naissance et c’est déjà un premier pas, ça signifie que l’Etat les reconnaît légalement. Mais ne pouvant pas obtenir de papiers d’identité, ils n’ont aucun espoir de trouver un travail. Et le récent décret de juillet 2010 dont parle Jovanna n’agit que dans le domaine de la santé. Il y a pourtant eu du nouveau en ce qui concerne la résidence : une autre mesure, prise il y a quelques mois seulement, permet aux Roms de s’inscrire dans le centre social le plus proche pour y trouver du travail, « mais on n’a pas encore eu de cas, on attend de voir comment ça se passe, si les gens vont vraiment l’utiliser et aller travailler. Et puis on a peur que les institutions sociales ne jouent pas le jeu… Mais en tout cas, depuis quelques mois, il ya une possibilité pour les gens des camps de trouver un semblant de travail. »

 

L’éducation représente aussi une question clé dans la vie des retournés en Serbie. Comme en Bosnie, elle est considérée comme un des enjeux les plus importants : « la plupart des retournés viennent d’Allemagne, de Suède ou de Suisse et la majorité des enfants parlent donc suédois ou allemand et romani mais pas serbe ! Et ils sentent bien qu’il n’y a pas qu’une barrière de la langue mais aussi une barrière culturelle. La première conséquence de cette dernière est que les filles continuent rarement d’aller à l’école, surtout au stade du lycée. » L’arrivée en Serbie est donc d’autant plus difficile pour les enfants parce qu’ils n’ont jamais vécu ici, ils sont catapultés du jour au lendemain dans un nouveau pays, une nouvelle culture, une nouvelle langue. « Et la langue, c’est ce qui permet d’avoir des diplômes, de comprendre les papiers, c’est lié au fait de pouvoir trouver du boulot : s’ils ne comprennent pas les papiers ils sont en mauvaise position pour en trouver. »

 

 Les conditions de vie déplorables dans lesquelles vivent les Roms sont la conséquence directe de ces problèmes de mal-logement et de manque d’éducation qui mènent à des travaux éreintants. Et c’est pour cette raison que l’espérance de vie d’un Rom en Serbie est de 49 ans et 40 ans pour les femmes, soit 30 ans de moins qu’un Serbe… A cela s’ajoutent les violences et les discriminations perpétuelles. C’est en particulier ce contre quoi le Centre of minorities se bat chaque jour en faisant valoir sa vision des choses.

 

« On veut croire à la liberté de mouvement absolue. »

 

En Serbie, la violence anti-Rom existe depuis toujours mais depuis l’année dernière, le Centre of minorities a noté une hausse spectaculaire des attaques contre les Roms. « On sait que la crise économique y a contribué au niveau européen, les gens s’inspirent aussi de ce qu’il se passe en Hongrie [des attaques anti-Roms perpétrées par des fascistes en mars dernier ont coûté la vie à six personnes et il a fallu une enquête plus poussée pour qu’on reconnaisse qu’il y avait bien eu mort par balle et non pas par simple électrocution…]. Ce sentiment anti-Rom est partagé dans toute l’Europe mais il y a aussi des raisons locales à cette escalade de la violence : le maire de Belgrade, dans ses discours, est très virulent envers les Roms et les gays… » Et tous les cas d’attaques sont loin d’être enregistrés, seuls ceux dont le centre a connaissance sont traités, c’est-à-dire quand les gens se déplacent et en parlent ici. « Beaucoup de Roms ne font pas confiance à la police. Pourquoi ? Parce qu’avec les policiers, ils seront à nouveau attaqués et discriminés.  On fait office d’intermédiaire entre eux et la police. » Mais ces attaques sont difficiles à prouver et les employés du centre tente de les mener devant les tribunaux en tant que crimes intentionnels, à motif de haine raciale, ce qui impliquerait une peine plus lourde. Une longue et difficile bataille.

Pour Jovanna, qui représente le centre, leur politique est claire et sans appel : le travail avec les Roms doit leur permettre, à un moment ou à un autre, de s’organiser eux-mêmes pour défendre leurs droits et leurs intérêts : « Ce n’est pas seulement une simple assistance mais aussi et surtout le fait de leur donner le pouvoir d’agir par eux-mêmes. Jusqu’à maintenant on n’a jamais rien obtenu par la négociation. Par exemple, la seule façon qu’ils ont de faire valoir leur droit à obtenir un endroit décent pour vivre est de faire eux-mêmes des manifestations devant les institutions. Rien d’autre. Les médias ne sont plus intéressés par ce sujet, tu sais, quand quelque chose n’est plus nouveau, ce n’est plus vendeur, il y a trop d’évictions forcées pour que ça les intéresse encore. » Le travail avec les communautés est donc privilégié et il est facilité par Borka, une employée du centre, elle-même Rom, qui vit dans l’une d’entre elles dans le nord de la ville « dans des conditions merdiques à un point qu’on peut difficilement imaginer », précise Jovanna. Parlant romani et serbe, cette quinquagénaire énergique est un atout précieux pour le centre et permet une communication plus aisée et l’établissement d’un lien de confiance avec les Roms des camps. C’est d’ailleurs elle qui nous a accompagnées à Zemun, pour rencontrer des familles, sur le grand marché aux légumes (cf article Kvantsaki Pijac).

La convergence des objectifs concernant les Roms et des moyens pour les atteindre est difficile et les conceptions du problème ne sont pas les mêmes selon les organisations et les associations. Cela rend les processus de mise en place de projets communs bien plus lents: « En général, les organisations européennes de défense des Roms encouragent plutôt les gens à retourner en Serbie ou dans leur pays d’origine et ici, elles essaient plutôt de convaincre les gens de ne pas (re)partir. On  coopère avec toutes ces organisations mais pour nous, le principe primordial, c’est de respecter ce que veulent les gens. C’est compliqué parce que l’Europe persiste à vouloir travailler sur la « réintégration » des retournés, ce qui est souvent vain, parce que par exemple, une ado de 15 ans qui est née à Hambourg n’a jamais été intégrée en Serbie ! Elle n’est pas née ici, elle parle une autre langue, elle est d’une autre culture. Ce n’est pas de la réintégration, c’est lui faire changer complètement de vie sans lui demander son avis ! »

 

Voilà brièvement le portrait que nous a dressé Jovanna de la situation des Roms de Serbie et de leurs retournés. Un bien triste tableau et un combat sans fin mais la détermination des employés du Centre of minorities semble sans bornes. Des dossiers sont sans cesse sur le grill et alors que nous étions en train de discuter, Jovanna a reçu une lettre du ministère qui donnait son feu vert à une mesure revendiquée des mois et des mois : un grand sourire et des cris de joie ont interrompu notre discussion et c’est sûrement pour ce genre de petites victoires, obtenues à force d’entêtement, qu’ils continuent à se battre pour toujours plus de dignité et de reconnaissance pour les minorités de Serbie.

 

 

 

A propos balktu2011

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